Michel Eyquem de Montaigne, Périgord, 1533-1592, écrivain français. Conseiller à la Cour des aides de Périgueux, puis au Parlement de Bordeaux. En 1571, il se démet de ses fonctions et se retire sur ses terres pour se consacrer à la composition de ses Essais. Élu maire de Bordeaux, il administre cette ville avec prudence et fermeté.
Plus qu’un système philosophique, la pensée de Montaigne
est une sagesse qui s’efforce de préserver le loisir, le bonheur et la liberté de l’homme.
1. Nous appelons “contre nature” ce qui arrive contre la
coutume. Il n’est rien, quoi que ce puisse être, qui ne soit selon la nature.
2. Les écrivains inconsidérés de notre siècle qui, parmi
leurs ouvrages de néant, vous sèment des passages entiers tirés des auteurs
antiques pour se faire honneur, font le contraire : car cette infinie
dissonance d’éclat rend un aspect si pâle, si terni et si laid à ce qui est de
leur main qu’ils y perdent beaucoup plus qu’ils n’y gagnent.
3. Mais, à la vérité, je n’entends rien à cette question,
sinon que la plus grande et importante difficulté de la science humaine semble
résider en ce point où l’on traite du développement et de l’éducation des
enfants.
4. Je voudrais aussi qu’on prenne soin de lui chosir un
répétiteur qui ait plutôt la tête bien faite que bien pleine.
... Je ne veux pas qu’il conçoive et parle seul, je veux
qu’il écoute son disciple parler à son tour.
5. Qu’il ne lui demande pas seulement de rendre compte
des mots de sa leçon, mais du sens et de la substance, et qu’il juge du profit
qu’il en aura tiré, non d’après le témoignage de sa mémoire, mais d’après elui
de sa vie.
... C’est témoigner de sa crudité et de notre indigestion
que de recracher la viande comme on l’a avalée. L’estomac n’a pas effectué son
opération, s’il n’a pas modifié la façon dont est formé ce qu’on lui avait
donné à cuire et digérer.
6. Les abeilles pillotent ça et là les fleurs, mais elles
en font ensuite leur miel, qui est tout à elles ; ce n’est plus du thym ni
de la marjolaine : ainsi les éléments empruntés à autrui, il les
transformera et les fondra ensemble, pour en faire un ouvrage tout à lui, je
veux dire son jugement. Son éducation, son travail d’étude ne visent qu’à
former ce jugement.
7. Savoir par coeur n’est pas savoir... Ce qu’on sait
correctement, on en dispose, sans consulter le patron, sans tourner les yeux
vers son livre. Fâcheuse compétence, qu’une compétene purement livresque !
8. Voilà pourquoi la fréquentation des hommes est
singulièrement adaptée à un pareil apprentisage, ainsi que la visite des pays
étrangers... Je voudrais qu’on commence à emmener en balade mon jeune homme dès
sa tendre enfance et, afin de faire d’une pierre deux coups, d’abord à travers
les pays voisins où le langage est le plus éloigné du nôtre, au point que la
langue, si vous ne la formez de bonne heure en ce sens, ne peut prendre le pli
local. Aussi bien est-ce une opinion admise par tout un chacun qu’il n’est pas
raisonnable de laisser se développer un enfant dans le giron de ses parents.
Cet amour naturel qu’ils éprouvent les attendrit trop et les relâche...Car
c’est sans alternative : si l’on veut en faire un homme de bien, il n’y a
pas de doute qu’on ne doit pas l’épargner dans cette jeunesse, quitte à souvent
heurter les règles de la médecine : « qu’il passe sa vie en plein air
et dans les alarmes » (Horace. Odes)
9. Et puis l’autorité du précepteur, qui doit être
souveraine sur le garçonnet, est interrompue et gênée par la présence des
parents.
10. Le silence et la modestie sont des qualités très
appropriées pour la conversation... »Il est permis d’être sage sans
ostentation, sans arrogance » (Sénèque, Letres à Lucilius).
11. Qu’on le discipline par-dessus tout à avouer sa
défaite et à rendre les armes devant la vérité tout aussitôt qu’il
l’apercevra : soit qu’elle naisse entre les mains de son adversaire, soit
qu’elle naisse en lui-même pour peu qu’il se ravise.
12. Que la conscience et la vertu de notre jeune homme
brillent dans ses paroles et n’aient que la raison pour guide... Car je trouve
que les premiers sièges sont communément pris d’assaut par les hommes qui ont
le moins de capacité, et que les grandeurs de fortune ne se mélangent guère
avec la compétence.
13. Il pratiquera par le moyen des récits historiques ces
grandes âmes des meilleurs siècles.
14. Il y a dans Plutarque beaucoup d’analyses suivies qui
méritent vraiment d’être connues, car c’est à mon sens le maître-ouvrier en
pareille tâche. Mais il y en a mille qu’il n’a fait simplement
qu’ébaucher : il indique seulement du doigt par où nous irons si nous en
avons envie, et se contente quelquefois de ne glisser qu’une allusion.
15. Nous sommes tout restreints et recroquevillés sur
nous-mêmes, et nous avons la vue raccourcie à la longueur de notre nez. On
demandait à Socrate d’où il était : il ne répondit pas
« d’Athènes », mais « du monde ».
16. « Ose être sage, lance-toi : qui diffère
l’heure de vivre correctement attend en rustaud que le fleuve se soit écoulé,
mais celui-ci coule et coulera à tout jamais, roulant ses eaux » (Horace. Épitres).
17. Anaximène écrivant à Pythagore : « De quelle
mentalité puis-je faire preuve pour mobiliser mon attention au secret
des étoiles quand j’ai toujours la mort ou l’esclavage
devant les yeux ? ».
18. Elle se donne pour but la vertu, qui n’est pas,
contrairement à ce que dit l’école, plantée à la cime d’un mont escarpé,
rocailleux et inaccessible. Ceux qui l’ont approché estiment, à l’inverse,
qu’elle est logée sur une belle plaine fertile et fleurie.
19. Suivant le précepte de Platon, qu’il faut établir les
enfants non selon les possibilités de leur père, mais selon les possibilités de
leur âme.
20. Pour le nôtre, un cabinet de travail, un jardin, la
table et le lit, la solitude, la vie sociale, le matin et la soirée, toute
heure lui conviendra, tout endroit lui servira de salle d’étude : car la
philosophie... a ce privilège de se mélanger avec tout.
21. Ce n’est pas une âme, ce n’est pas un corps que l’on
élève, c’est un homme.
22. Je voudrais commencer par savoir bien ma langue, et
celle de mes voisins auprès de qui ma fréquentation est la plus ordinaire.
23. Pour mon père, le danger n’était pas de me voir mal
faire, mais de ne me voir rien faire.
24. Plutarque dit quelque part qu’il ne trouve pas une
aussi grande distance de bête à bête que d’un homme à un homme...Je pousserais
volontiers par rapport à Plutarque et je dirais qu’il y a plus de distance de
tel homme à tel autre que de tel homme à telle bête.
25. Les biens de la fortune, tous tels qu’ils sont,
encore faut-il avoir de la sensibilité pour les savourer . C’est le fait
de jouir, non de posséder, qui nous rend heureux.
26. « Si tu as bon ventre, bons poumons et bons
pieds, des richesses de roi ne pourront rien t’apporter de plus » (Horace,
Épitres).
27. Je suis complètement de cet avis, qu’il est bien plus
aisé et plaisant de suivre que de guider et que c’est un grand repos pour
l’esprit de n’avoir à prendre qu’une voie tracée et de n’avoir à répondre que
de soi : « De sorte qu’il vaut mieux obéir, tranquille, que de
vouloir exercer un pouvoir absolu » (Lucrèce, De natura rerum)
28. Le roi Alphonse disait que les ânes avaient en cela
un meilleur sort que les rois : leurs maîtres les laissent paître à leur
aise, tandis que les rois ne peuvent pas obtenir cela de leurs serviteurs.
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